-
http://www.lematin.ch, 19 Juin 2009
Posté le juin 19th, 2009 Pas de commentaireJean-Luc Guyer: «Les victimes restent victimes»
Le professeur zurichois Jean-Luc Guyer vient de dresser un constat effrayant de la violence scolaire. Interview.
La Suisse n’avait aucune donnée fiable sur la violence dans les préaux. Mais grâce à l’étude de Jean-Luc Guyer, parue dimanche, on en sait un peu plus. Et les résultats font peur: 58% des mômes de 6 à 16 ans sont régulièrement insultés. Un quart a été battu. Dorénavant, la violence scolaire ne se résume plus à une série de faits divers, comme celui du jeune Neuchâtelois de 15 ans brûlé vif par ses camarades («Le Matin» d’hier). On a maintenant une idée de l’ampleur et de la complexité du phénomène. «Nos données sont comparables à celles qui existent en Europe du Nord», précise Jean-Luc Guyer. Le directeur du Centre de psychologie et de psychothérapie clinique au sein de l’institut de psychologie appliquée de Zurich détaille ses résultats. Et exclut tout remède magique.
Coups, mobbing, agressions sexuelles, insultes, blessures: à lire votre étude on a l’impression que l’école est une jungle!
Non, la grande majorité des enfants n’ont pas de problème à l’école, et leurs parents peuvent être tranquilles. Ce qui n’empêche pas de constater des problèmes. Quand 5% des élèves ont peur d’aller à l’école au moins une fois par semaine, ça ne semble pas énorme. C’est pourtant grave, et beaucoup trop.Concrètement, qui sont les victimes de violence?
On trouve plus d’enfants hyperactifs, qui connaissent des difficultés dans leur relation aux autres. Des écoliers un peu gros. Ceux qui ont une intelligence supérieure à la moyenne, etc. Bref, ce sont souvent des élèves qui présentent une différence.Comment aider ces souffre-douleur?
C’est difficile. Ces victimes, souvent, ne se défendent pas. Et, surtout, c’est un rôle que ces élèves connaissent: ils sont aussi souvent victimes à la maison et le restent s’ils changent d’école. Ils ont en quelque sorte intégré ce statut de victime.Dans les préaux, est-ce que ce sont les grands qui cognent les petits?
C’est très rare. La grande majorité de la violence se joue entre élèves du même âge.Parlons des «bourreaux»: ont-ils un profil type?
Non. Mais ceux qui sont peu intégrés dans l’établissement, ceux qui viennent d’une famille ou d’un milieu problématique, ou ceux qui ont de mauvais résultats scolaires sont surreprésentés parmi les auteurs de violences.Votre étude montre aussi qu’une petite minorité fait de gros dégâts: 3% des élèves cognent chaque semaine…
Effectivement, 3 à 8% des élèves sont problématiques, et là aussi il faut un travail de longue haleine pour changer ces comportements. Souvent, ces auteurs sont ou ont été des victimes de violence scolaire.La violence scolaire augmente-t-elle?
Soyons honnête: on n’en sait rien. Nous n’avons pas de données datant de dix ou vingt?ans pour comparer. Mais je crois que les insultes et les cas de mobbing sont en hausse.Existe-t-il de nouvelles formes d’agression?
Oui. Il y a le happy slapping: des élèves tapent un enfant et le filment. Il existe aussi une sorte de torture psychologique élaborée: un groupe d’élèves monte des histoires de toutes pièces pour rejeter un individu. Et font circuler leurs mensonges par SMS. Ou pis: ils créent des sites Web pour discréditer un élève ou toute sa famille. A Zurich, un site a même inventé un cas d’inceste…Vous montrez que la majorité des agressions ont lieu dans le préau. Personne ne surveille?
Il pourrait y avoir davantage de surveillance: les élèves le réclament eux-mêmes. Mais le problème n’est pas là. Il faut surtout des règles et des limites claires. Exemple: à partir de quel stade une bagarre n’est plus un jeu? L’enseignant doit avoir une conscience claire de ce stade et intervenir pour dire stop. Ça marche très bien quand il existe une cohérence de doctrine dans une école. Beaucoup moins quand les 60 professeurs n’ont pas la même conception de cette limite.Alors que faire? punir?
Il faut une réponse rapide aux débordements. Mais, de manière générale, la violence dépend surtout du climat de l’établissement, des relations prof-élèves et de la dynamique de la classe.Alors pourquoi pas des cours de prévention partout en Suisse?
Ce n’est pas inutile, mais les effets sont ponctuels. Si on instaure trois jours intensifs de prévention de la violence, on constate une amélioration pendant un, deux, trois mois. Un an plus tard, il n’y a plus rien. Je crois au travail de longue durée, aux projets concrets. J’ai par exemple fait travailler des élèves sur la création d’un logo pour leur école. Si on multiplie ce genre d’interventions, les écoliers apprennent à se connaître et à vivre ensemble. Un climat positif naît, la violence diminue. Mais, évidemment, c’est moins spectaculaire ou populaire que de dire qu’il faut instaurer de terribles punitions.Laisser une réponse
Commentaires récents