Collectif d'Action et de Lutte contre les Jeux A Risques
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    Posté le juin 6th, 2009 Caljar Pas de commentaire

    Le jeu du foulard a tué notre fils, Florent

    Le récit | L’adolescent genevois de 13 ans est décédé le 28 mai, victime de cette pratique terriblement dangereuse. Ses parents et son frère aîné ont choisi de témoigner, dans un souci de prévention, pour arrêter cette folie.

    © LDD | Florent avait 13 ans. Il est décédé le 28 mai dernier. Ses parents ont tenu à ce que sa photo soit publiée, «pour mettre un visage sur les victimes du jeu du foulard».

    XAVIER LAFARGUE | 06.06.2009 | 00:03
    ll s’appelait Florent, et il avait 13 ans. Un garçon plein de vie, disent ses parents. Un élève du Cycle d’orientation de Budé qui, le 28 mai dernier, a voulu tester, chez lui, le jeu du foulard. Cette pratique stupide et dangereuse qui consiste à s’enserrer la gorge avec un bout d’étoffe. Une hyperventilation qui, paraît-il, procure des sensations. Florent en est mort. Son père, sa mère et son frère tiennent à témoigner aujourd’hui. Pour que cette folie s’arrête.

    «Les jeunes doivent comprendre que ce truc à la con, ça ne s’essaie pas. Le jeu du foulard a tué notre fils», lance Massimo, le papa. Ses propos sont forts, parfois durs et sans détour, il les assume: «Selon certains, parler de ce phénomène-là, c’est à double tranchant. Parce que ça pourrait donner des idées aux jeunes. Ce n’est pas notre avis. En Suisse, on a trop tendance à tout cacher. Au contraire, cette folie-là, il faut en parler, dans les écoles, partout. Parce qu’elle tue! Et il faut mettre un visage sur ses victimes. C’est pourquoi on a accepté de publier la photo de Florent. On a aussi demandé au pasteur de dire clairement ce qui s’était passé.»

    Cérémonie bouleversante

    Des mots qui en ont remué plus d’un. Des courriels sont apparus ces derniers jours, envoyés par des personnes ayant assisté à la cérémonie funèbre de mardi passé. Des gens bouleversés par cette célébration, qui ont tenu, eux aussi, à véhiculer un message de prévention.

    «Le pasteur n’a rien caché, il a utilisé plusieurs fois le mot «mort», ça a frappé les gens et c’est bien, insiste Benjamin, 19 ans, le frère aîné de Florent. Il faut montrer que ce truc n’est pas un jeu!»

    Ni un jeu ni un suicide, d’ailleurs, comme le précise l’anthropologue français David Le Breton: «Comme beaucoup, j’ai commencé par y voir des suicides déguisés, confiait-il au Temps, en octobre dernier, après un drame similaire survenu à Lausanne. J’ai ensuite compris que les victimes ne sont pas forcément des jeunes mal dans leur peau, au ­contraire, plutôt des passionnés de la vie, en quête de sensations nouvelles. Ils ne réalisent pas les risques qu’ils prennent. Tous les adolescents, d’ailleurs, tendent à surestimer leur capacité de contrôle et à sous-estimer le danger.»

    C’était sans doute le cas de Florent. «Les médecins ont d’ailleurs très vite écarté l’hypothèse d’un suicide, pour retenir celle de l’accident tragique», relève Massimo. Florent, un enfant «pas triste du tout, ni réservé ni solitaire», confie sa maman, ­Fabienne. «C’était le premier à raconter une blague, il était très deuxième degré», enchaîne Massimo. «Il avait plein de copains, il jouait au foot au FC Saint-Jean…» ajoute Benjamin. Des jeunes joueurs qui, lors de la célébration de mardi, ont laissé à la famille un maillot de l’équipe d’Italie, qu’ils ont tous signé.

    Après un tel drame, se sent-on coupable? Pour les parents, la culpabilité n’a pas sa place ici: «Pour se dire quoi? Qu’on aurait pu rentrer plus tôt, qu’on aurait pu prévoir? Non, affirme Massimo. On peut tout imaginer, mais ça ne sert à rien. C’était imprévisible.» Fabienne confie: «Les ados se croient invincibles, ils ne s’imaginent pas forcément les conséquences de leurs actes.» Massimo ajoute: «Sans faire de psychologie de bistrot, ils sont parfois comme dans leurs jeux vidéo. Sauf que là, le jeu a mal tourné. Et dans la réalité, on ne peut pas recommencer la partie…»

    C’est lui qui a découvert son fils inanimé, dans sa chambre, sa ceinture de judo autour du cou. Des images terribles, que Massimo ne veut pas taire: «Il était assis par terre. Pas de trace de souffrance, non, il avait un beau visage, calme. Il a dû perdre connaissance sans s’en rendre compte.»

    Inutiles premiers secours

    Le papa de Florent revit la scène avec un incroyable courage. «Je l’ai détaché, j’ai essayé la respiration artificielle, les massages cardiaques, tout en appelant le 117. On devrait obliger les gens, chaque année, à remettre à niveau leurs ­connaissances des premiers secours… Un médecin m’expliquait au téléphone ce que je devais faire. La police est arrivée très vite, puis l’ambulance.»

    Le drame s’est déroulé en l’espace d’une petite demi-heure: «Quand je suis partie, peu avant 18 h, je l’ai vu sur son vélo, sans casque. En rentrant, j’ai aperçu l’ambulance, j’ai cru que Florent avait eu un accident de la route.» Dans l’intervalle, Massimo est rentré, à 18 h 30. Il n’a eu qu’à pousser la porte de la chambre, qui n’était pas fermée à clé, pour découvrir ce drame que la famille a choisi de ne pas cacher. «Parce que si un gosse, même un seul, décide d’arrêter ce jeu du foulard après avoir lu l’article, alors ce sera gagné, alors Florent ne sera pas mort pour rien», se persuade Massimo.

    Un phénomène connu des jeunes, mais encore tabou chez les adultes

    «Quand j’irai mieux, je souhaite aller faire de la prévention dans les écoles, pour mettre en garde les élèves contre les dangers du jeu du foulard.»

    Les propos sont de Benjamin, le frère aîné de Florent. Il touche du doigt un vrai problème: plutôt connue chez les jeunes, cette technique d’hyperventilation, qui prend aussi d’autres noms (lire encadré), est en revanche assez taboue chez les adultes. D’où la difficulté de mettre sur pied une prévention efficace.

    En France, néanmoins, l’Apeas (Association de parents d’enfants accidentés par strangulation) se bat depuis neuf ans pour dénoncer les risques de ce jeu qui n’en est pas un. «L’alerte est venue de votre journal, dans un article publié en 2000, rappelle sa présidente, Françoise Cochet. Mais depuis, c’est un bras de fer permanent pour se faire entendre.»

    Pourtant, dit-elle, du côté de l’Hexagone, ça se débloque enfin: «Le ministre de l’Education nationale nous reçoit le 18 juin. Il est prévu que les dangers liés au jeu du foulard figurent prioritairement sur la grande circulaire de rentrée des classes.»

    Le site de l’Apeas (www.jeudufoulard.com) fourmille d’informations sur le sujet, et sur les autres techniques d’évanouissement tout aussi dangereuses. On y trouve également des témoignages de parents, bouleversants, parfois choquants. Et des photos de victimes, filles comme garçons. «L’information circule mieux, mais elle n’est pas encore généralisée, ni auprès du corps enseignant ni même dans les services de police ou de secours», relève Françoise Cochet.

    Et en Suisse? Difficile d’obtenir des informations chiffrées, des statistiques fiables. On apprend les cas mortels au hasard des déclarations de parents. Avant celui de Florent, il y a eu Caspar, à Lausanne l’été dernier. Et Yoann, huit ans plus tôt.

    Manque d’informations

    Myriam, la maman de Yoann, héberge l’antenne de l’Apeas en Suisse. Son témoignage est édifiant: «Jusqu’à la mort de Caspar, rien n’a bougé. Moi-même, je me suis heurtée à un tabou. Médecins, psychologues, police, tous s’accordaient pour dire que ça n’existe pas chez nous. Je me suis découragée.»

    N’empêche, après le drame de Caspar, des soirées d’information ont été organisées à l’attention des parents des élèves du secondaire, puis du primaire. A Lucerne, il y a eu des séances auprès des élèves. Et en avril dernier, une émission de la TSR a largement parlé de ce jeu. «Mais de la prévention, on n’en fait pas assez», estime Myriam. Elle admet cependant que la chose est délicate. «Il ne faut pas non plus donner envie aux jeunes d’essayer», glisse-t-elle. C’est là tout le dilemme.

    Prévention généralisée

    «A Genève, nous ne ciblons pas un type de comportement, afin de ne pas être incitatif, justement», indique Claire-Anne Wyler Lazarevic, médecin et directrice adjointe du Service de santé de la jeunesse (SSJ). «Notre prévention est plus générale. Auprès des jeunes, nous privilégions l’estime de soi et les comportements qui les amènent à faire des choix favorables à leur propre santé.» Le médecin ne commente pas le cas de Florent. «Nous ne connaissons pas encore les circonstances exactes de ce drame. Quoi qu’il en soit, le jeu du foulard nous est connu. Il n’est pas nouveau. Il est cyclique, on ne peut pas parler de recrudescence. Des spécialistes de l’unité d’urgence du Service médico-pédagogique sont intervenus dans la classe de Florent, dans un cadre plus général de gestion d’une situation de crise. S’il faut agir de façon plus ciblée, on le fera.»

    A Vernier, à l’initiative du Service de la jeunesse et de l’emploi, des jeunes en difficulté ont créé un jeu de société, genre «Trivial Poursuite». Un outil préventif contre les comportements à risque. Le jeu du foulard y figure en bonne place. C’est peut-être un début…


    Un jeu qui n’en est pas un

    Pour mieux connaître le jeu du foulard.

    ❚Il s’agit d’un jeu d’étranglement volontaire qui doit permettre de connaître de nouvelles sensations, parfois érotiques. Dans la réalité, les risques sont énormes, pouvant allant de séquelles irréversibles, dues par exemple au manque d’oxygénation du cerveau pendant un certain laps de temps, à la mort.

    ❚Le jeu du foulard connaît plusieurs variantes, dont les noms sont parfois tragiquement enchanteurs: «été indien», «rêve bleu», «cosmos», ou encore «tomate» et «grenouille». A chaque fois, il s’agit d’une hyperventilation, par strangulation, blocage de respiration ou compression de la poitrine, du sternum ou des carotides. Dans tous les cas, le danger est extrêmement élevé.

    ❚Ce phénomène ne connaît pas de frontière. Il est connu depuis longtemps, et réapparaît de façon cyclique, comme n’importe quelle mode touchant les adolescents.

    ❚Il peut être pratiqué en groupe ou seul. Inutile de préciser que dans sa version solitaire, le danger est maximal!

    ❚Selon le site de l’Apeas, les plus jeunes ne sont pas épargnés. Le drame touche en effet, en priorité, des enfants ou des jeunes de 4 (!) à 20 ans.

    ❚Des signes extérieurs sont susceptibles d’alarmer parents, enseignants ou entourage proche des enfants: traces sur le cou, maux de tête, concentration diminuée ou plus simplement, présence inhabituelle d’un foulard, d’un lacet, d’une corde ou d’une ceinture.


    «Alerter les jeunes»

    Mardi, lors de la cérémonie funéraire, le pasteur Emmanuel Rolland n’a pas hésité à utiliser des mots très forts: «Les parents de Florent m’avaient demandé que la mort de leur fils soit utile, pour que ça ne recommence pas. Le message à faire passer, c’était celui d’adultes responsables face à des enfants n’ayant pas conscience du danger. On joint notre voix à celle de tous ceux qui veulent que les enfants grandissent. C’est le devoir d’un pasteur autant que d’un professeur, d’un parent ou d’un médecin d’alerter les jeunes. Attention, il ne s’agit pas de faire de la récupération: il faut faire le deuil d’un Dieu magicien qui empêche les catastrophes. Mais un temple est aussi un lieu de prévention et d’information. J’espère seulement que c’est la dernière fois que je le ferai après un tel drame.»


    «Aider les adultes»

    Responsable du Service de la jeunesse et de l’emploi de Vernier, Katia Peccoud est l’instigatrice du jeu de société créé par des jeunes en difficulté. «C’est un outil pédagogique de prévention, pour établir une relation entre jeunes et adultes, dit-elle. Il ne s’agit pas de parler précisément du jeu du foulard, que nous considérons comme assez méconnu, parce que tabou, surtout par les adultes et les enseignants. Il y a donc un énorme travail à faire pour que l’adulte qui abordera le sujet avec des jeunes ne croie pas qu’il leur donne envie d’essayer.» Calqué sur un «Trivial Poursuite», le jeu de société peut être commandé auprès de la commune de Vernier. Attention, il s’agit d’un grand format, à l’attention de groupes ou de classes. Une version «famille», plus petite, est en cours d’élaboration.


    «Il faut en parler»

    Présidente de l’Apeas, Françoise Cochet a elle-même perdu un fils, victime du jeu du foulard. Ce qui l’a décidée à agir. «Il faut en parler, mais pas n’importe comment. Sur notre site Internet, on trouve les documents permettant une information utile», assure-t-elle. Une information qui, selon cette Française, n’est pas destinée qu’aux parents. «Les médecins eux-mêmes ne connaissent pas suffisamment les symptômes, les signes extérieurs qui permettent de réaliser qu’un enfant a essayé le jeu du foulard. Les médecins, mais aussi tout le personnel de santé. Je ne perds pas espoir pour autant, on a maintenant de bons rapports avec le ministère concerné. Et je vois que de nombreux pays demeurent en contact avec nous. Car le jeu du foulard ne connaît pas de frontière.»